Rencontres avec des artistes suisses au parcours inspirant

Rencontres avec des artistes suisses au parcours inspirant

Une Suisse créative qui ne cesse de surprendre

Si l’on associe volontiers la Suisse à ses montagnes, ses banques ou son chocolat, on oublie parfois qu’elle est aussi un terreau fertile pour la création artistique. Peinture, musique, design, photographie : la scène culturelle helvétique regorge de talents qui s’affirment bien au-delà de nos frontières. Certains empruntent des chemins classiques, d’autres tracent le leur avec audace. Tous ont en commun une même force : celle de transformer leur singularité en moteur de création.

Nous sommes allés à la rencontre de cinq artistes suisses dont les parcours, souvent sinueux, racontent une Suisse créative, engagée et diversifiée. Ils posent un regard frais sur le monde, questionnent nos habitudes et participent à leur manière au rayonnement culturel du pays.

Yilian Cañizares – Entre jazz, racines et spiritualité

Née à La Havane en 1983 et installée depuis plusieurs années en Suisse romande, Yilian Cañizares est une figure singulière du paysage musical suisse. Violoniste et chanteuse, elle fusionne le jazz, la musique classique et les rythmes afro-cubains dans un style profondément personnel. Formée à Lausanne, elle a su trouver dans la diversité helvétique un espace pour affirmer son identité artistique.

« La Suisse m’a offert un équilibre que je ne trouvais pas ailleurs », confie-t-elle. « Ce pays encourage le dialogue culturel tout en me donnant un cadre pour expérimenter. »

Son album Aguas, réalisé avec Omar Sosa, lui a valu une reconnaissance internationale et des tournées aux quatre coins du globe, sans jamais renier ses racines.

Julien Vallée et Eve Duhamel – Le design visuel made in Genève

Le duo derrière Vallée Duhamel repousse les limites du motion design. Créateurs d’univers visuels mêlant esthétique artisanale et technologies de pointe, ils sont courtisés par des marques comme Hermès, Google ou Apple. Formés à Genève et Montréal, ils ont choisi de revenir en Suisse pour y développer leur studio, tout en menant des collaborations internationales.

« En Suisse, la rigueur et la recherche de qualité sont ancrées dans la culture, même dans le domaine artistique », explique Julien Vallée. « Cela nous oblige à ne jamais céder à la facilité. » Leur approche mélange travail manuel (papier, bois, maquettes) et animation numérique pour donner vie à des récits visuels percutants et poétiques.

Laetitia Kyburz – Entre art brut et engagement social

Originaire de Veyras, en Valais, Laetitia Kyburz s’est d’abord fait connaître dans le milieu du graffiti avant de s’orienter vers l’art contemporain. Elle puise dans les codes de l’art brut pour créer des œuvres à portée sociale. Sa série Fragments identitaires explore les questions de genre et de marginalité à travers des installations mêlant textile, bois flotté et matériaux de récupération.

« Ce qui m’intéresse, c’est ce que l’art peut décloisonner. Montrer qu’il y a plusieurs manières d’exister, de créer, d’être au monde », affirme l’artiste, qui anime également des ateliers pour des adolescents en rupture scolaire.

Son travail a récemment été présenté au Musée d’art contemporain de Bâle. Une visibilité qui confirme l’émergence d’une voix artistique hors des sentiers battus.

Nicolas Steiner – Cinéma à ciel ouvert

Cinéaste originaire du Haut-Valais, formé à la ZHdK de Zurich et à la Filmakademie Baden-Württemberg, Nicolas Steiner s’est fait remarquer avec son documentaire Above and Below, primé dans plusieurs festivals internationaux. Il filme ceux qu’on ne voit pas : sans-abris vivants dans les égouts de Las Vegas, ermites dans le désert ou astronautes en simulation.

« Ce qui me fascine, ce sont les marges. La manière dont, parfois, l’imaginaire peut naître du manque », explique-t-il. Son style, entre fiction et documentaire, séduit autant les critiques que les spectateurs, et révèle une fibre profondément humaine.

Nicolas Steiner développe actuellement un nouveau long-métrage — co-produit avec la RTS — explorant les thèmes de l’isolement et de la mémoire collective dans un village alpin déserté.

Sophie Guyot – La soie genevoise réinventée

Dans son atelier de Carouge, Sophie Guyot fait renaître une matière oubliée du patrimoine local : la soie. Ancienne styliste devenue artisane, elle crée des étoffes en fibres naturelles qu’elle teint de manière végétale. Une approche respectueuse de l’environnement, en résonance avec les préoccupations contemporaines.

« Mon travail est un acte de résilience face à l’uniformisation textile qui menace les savoir-faire », explique-t-elle. Ses foulards et textiles d’intérieur sont conçus en petites séries, souvent à la demande, et intègrent pigments naturels, teintures locales et techniques d’impression artisanale.

Elle participe régulièrement à des expositions d’art appliqué en Suisse et à l’étranger, et collabore avec des artistes et designers issus de disciplines variées. Une manière de montrer que tradition et innovation peuvent dialoguer sans se trahir.

Un écosystème culturel en mutation

Ces artistes incarnent chacun à leur manière les mutations à l’œuvre dans la scène culturelle suisse : le décloisonnement des disciplines, la connexion entre les territoires (urbains et ruraux, locaux et globaux), la réinvention des savoir-faire. Ce qui les relie, au-delà de leurs parcours personnels, c’est une volonté farouche d’expérimenter, de sortir des formats imposés et de bâtir leur propre langue artistique.

Le soutien institutionnel, bien que variable selon les cantons, joue encore un rôle central. Les bourses cantonales, résidences artistiques, et programmes comme Pro Helvetia ou la Fondation suisse pour la culture permettent souvent de donner un coup d’élan décisif. Mais c’est aussi dans les réseaux indépendants, les collectifs citoyens ou les plateformes numériques que se tissent aujourd’hui les trajectoires les plus audacieuses.

Et demain ?

Il serait hasardeux de prétendre dresser un panorama complet de la création suisse en quelques portraits. Mais une chose est sûre : les artistes interrogent, innovent, déplacent les lignes. À travers eux, c’est une image plus fine, plus mouvante de la Suisse qui émerge. Une Suisse plurielle, pleine d’élans, où l’art n’est pas un ornement mais un levier de transformation sociale, esthétique et parfois politique.

Alors, pourquoi ne pas pousser la porte d’un atelier, assister à une performance, ou découvrir un artiste local lors de votre prochaine balade urbaine ou escapade alpine ? Car derrière chaque œuvre, il y a une histoire. Et souvent, celle-ci vaut la peine d’être écoutée.