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Quand l’intelligence artificielle transforme l’agriculture suisse

Quand l’intelligence artificielle transforme l’agriculture suisse

Quand l’intelligence artificielle transforme l’agriculture suisse

Quand l’IA entre en scène dans les champs suisses

À première vue, les terres agricoles de Suisse n’ont pas changé de visage : vallées irriguées, bassins céréaliers soignés, troupeaux paisibles. Pourtant, à y regarder de plus près, quelque chose a changé. Tracteurs autonomes, capteurs connectés, algorithmes anticipant maladies et rendement : l’intelligence artificielle (IA) s’installe lentement mais sûrement dans le quotidien des agriculteurs helvétiques.

Comment cette technologie, souvent associée à la finance ou aux laboratoires de recherche, redessine-t-elle aujourd’hui les contours de notre agriculture ? Au cœur de cette évolution tranquille se pose une question fondamentale : la Suisse peut-elle concilier tradition agricole et transition numérique sans perdre son identité paysanne ?

Des données au sillon : comment l’IA sème plus juste

Le premier terrain conquis par l’IA dans l’agriculture suisse, c’est la prévision. Grâce à l’analyse de données climatiques, de qualité des sols et d’imagerie satellite, les agriculteurs peuvent désormais anticiper les besoins de leurs cultures avec une précision inédite. Exit le traitement standardisé à la parcelle : place au micro-dosage ciblé, optimisé en temps réel.

André Brodard, maraîcher à Payerne, a investi dans une station météo intelligente couplée à un logiciel de modélisation. Résultat ? « On adapte nos traitements préventifs au jour près. On est plus efficaces, on gaspille moins. Et surtout, on évite une surmédication des sols. C’est gagnant pour tout le monde », explique-t-il.

À l’image du système Plantix, issu d’une collaboration entre Agroscope et l’EPFL, certaines applications permettent déjà d’identifier les maladies des cultures via une simple photo, envoyée par smartphone. Le diagnostic est quasi instantané, et les recommandations de traitement proviennent d’une base de données en constante évolution. La lutte contre les ravageurs n’est plus une chasse à l’aveugle.

Des drones au troupeau : l’élevage passe aussi en mode smart

L’intelligence artificielle ne se limite pas aux cultures. En élevage, elle prend la forme de colliers connectés, de caméras thermiques et même de balances automatiques, tous capables d’analyser comportement, alimentation et santé des animaux. Les vaches suisses, elles aussi, vivent leur révolution numérique.

La startup fribourgeoise HerdEye a développé une technologie capable de détecter les premiers signes de boiterie chez les bovins grâce à l’analyse de leur démarche via des vidéos. Objectif : intervenir avant les symptômes sévères. Pour les éleveurs, cela signifie moins de pertes, moins d’antibiotiques et plus de bien-être animal.

Dans le Jura bernois, une exploitation utilise déjà des drones pour surveiller les pâturages et suivre l’évolution de la couverture herbeuse. « En 15 minutes, on a une carte thermique du terrain, et nos décisions de pâturage ne sont plus un pari », témoigne la cheffe d’exploitation, Sabine Moser.

Réduire l’empreinte écologique tout en restant rentable

L’un des grands avantages de l’IA dans les champs suisses, c’est sa capacité à concilier productivité et respect de l’environnement. En optimisant les intrants (eau, engrais, pesticides), elle réduit considérablement le gaspillage de ressources. Ce gain d’efficacité va de pair avec une meilleure résilience face aux aléas climatiques.

Selon une étude menée en 2023 par l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL), les exploitations utilisant des outils d’IA ont en moyenne réduit de 18 % leur consommation d’eau et de 22 % leur usage de fongicides, sans impact négatif sur le rendement.

Cette sobriété écologique, dictée par l’algorithme mais appliquée aux réalités spécifiques de chaque exploitation, offre une voie prometteuse vers une agriculture plus durable. Elle fait écho aux attentes croissantes des consommateurs helvètes, toujours plus attentifs à l’origine et à l’impact de ce qu’ils mettent dans leur panier.

Des freins encore bien réels : coûts, formation, confidentialité

Mais tout n’est pas si simple. Si les bénéfices sont tangibles, l’adoption de l’IA en milieu agricole bute encore sur plusieurs obstacles. Le premier ? Le coût. Entre capteurs, drones et logiciels spécialisés, l’investissement initial peut rapidement monter à plusieurs dizaines de milliers de francs suisses, un budget difficile à justifier pour les petites structures.

Petit paradoxe : ce sont souvent les exploitations les plus vulnérables aux aléas de production qui auraient le plus besoin de ces outils, mais ce sont aussi celles qui peuvent le moins se les offrir. Des aides cantonales ou fédérales pourraient-elles venir soutenir ce virage digital ? Pour l’heure, les initiatives publiques sont encore timides.

Deuxième frein : la formation. L’usage de l’IA nécessite de nouvelles compétences, mêlant agronomie, analyse de données et informatique. Des centres de formation agricoles, comme AGRIDEA ou les écoles cantonales, commencent à intégrer ces dimensions, mais la transition prend du temps.

Enfin, la question épineuse des données : qui possède les données collectées par les capteurs installés dans une ferme ? L’exploitant, l’entreprise technologique, ou un tiers ? La transparence, la traçabilité et la souveraineté numérique deviennent des enjeux cruciaux, parfois sous-estimés par les utilisateurs eux-mêmes. L’agriculture suisse, pourtant si attachée à sa souveraineté alimentaire, ne peut ignorer ce débat.

Des initiatives locales exemplaires

Face à ces défis, certaines régions suisses prennent les devants avec pragmatisme. Le canton de Vaud, par exemple, a lancé le programme Smart Farming Vaud, qui vise à accompagner 200 exploitations dans la numérisation de leurs pratiques d’ici à 2025. En parallèle, une plateforme cantonale regroupe les données agricoles anonymisées pour faciliter la recherche et l’innovation.

À Genève, la Ferme de Budé teste depuis 2022 une chaîne logistique entièrement monitorée par algorithmes : de la production jusqu’à la vente via les marchés locaux, chaque étape est optimisée pour limiter les pertes et améliorer les délais de distribution. Le numérique devient alors un allié du circuit court.

Quant à l’université de Zurich, en collaboration avec des exploitations de la Vallée de Joux, elle pilote un projet de reconnaissance d’herbes nuisibles par IA. L’objectif est simple : remplacer le désherbage chimique par un arrachage automatique, déclenché dès la détection visuelle par des caméras embarquées sur tracteurs ou robots agricoles.

Et demain ? Une intelligence « paysanne » avant tout

L’IA ne remplacera pas la main de l’agriculteur – elle promet de la rendre plus libre. Libre de temps, grâce à l’automatisation des tâches répétitives ; libre de choisir les meilleurs arbitrages, à partir de données fiables ; libre enfin d’investir son énergie dans ce que l’intelligence humaine reste seule à maîtriser : l’intuition du vivant.

Pour que cette révolution technologique soit une chance et non une contrainte, elle doit rester maîtrisée, accessible et alignée avec les réalités du terrain. L’enjeu, ce n’est pas d’avoir des fermes sans fermiers, mais des fermiers augmentés, capables de tirer le meilleur d’un outil complexe sans perdre le bon sens paysan qui fait la richesse de nos campagnes suisses.

En fin de compte, une IA réussie en milieu agricole ne sera jamais spectaculaire. Elle sera discrète, presque invisible, comme un bon outil qui fait ce qu’on lui demande – ni plus, ni moins.

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