L’essor de la mobilité douce dans les villes suisses

L’essor de la mobilité douce dans les villes suisses

Une tendance qui prend de la vitesse

Jusqu’il y a quelques années encore, le vélo et la trottinette relevaient davantage du loisir que du mode de transport quotidien dans les villes suisses. Mais ce paysage change à vue d’œil. Sous l’impulsion des collectivités, des innovations technologiques et d’un changement profond des mentalités, la mobilité douce devient une composante centrale de l’aménagement urbain en Suisse.

Derrière ce terme – quelque peu abstrait pour certains – se cachent simplement tous les modes de déplacement non motorisés, principalement le vélo, la marche, et les engins électriques légers (trottinettes, monoroues, etc.). En Romandie comme en Suisse alémanique, leur usage ne cesse de croître. Mais à quoi tient cet engouement ? Plusieurs raisons se conjuguent, et nous les avons explorées pour vous.

Des villes qui s’adaptent à une nouvelle réalité

Pour comprendre l’essor de la mobilité douce, il faut avant tout regarder ce que font les villes elles-mêmes. À Lausanne, le Plan directeur de la mobilité prévoit d’investir quelque 250 millions de francs d’ici à 2030 pour favoriser la mobilité alternative à la voiture.

Les infrastructures deviennent plus intelligentes et plus sûres : création de pistes cyclables protégées, larges trottoirs, zones de rencontre et limitation de la vitesse en ville. Genève, par exemple, a mis en place une trentaine de kilomètres de pistes cyclables sécurisées depuis 2020. L’objectif n’est pas de bannir la voiture, mais de redonner sa place à l’usager non motorisé.

La tendance dépasse les grandes agglomérations. À Fribourg, le projet « Fribourg en mouvement » entend réaménager de larges portions du centre pour favoriser les déplacements actifs. Idem à Sion ou Neuchâtel, où les zones piétonnes s’étendent progressivement, en parallèle d’une rationalisation du stationnement automobile.

Un engouement citoyen, pas un effet de mode

Si la volonté politique est essentielle, elle ne produit ses effets que parce qu’elle rencontre un besoin croissant des habitants. En 2023, selon une étude de l’Office fédéral de la statistique (OFS), près de 43 % des Suisses utilisent régulièrement un vélo pour se déplacer, contre 36 % en 2015. Mieux : chez les 18-35 ans, la proportion dépasse les 50 %, et l’usage de la trottinette électrique connaît une envolée impressionnante.

C’est aussi une question de style de vie. Dans les quartiers densément peuplés, entre qualité de l’air, gain de temps et suppression du casse-tête du stationnement, opter pour son vélo ou sa planche à roulettes devient une évidence. En milieu urbain, un trajet de moins de 5 kilomètres est bien plus efficace sans moteur qu’avec.

Mobilité douce rime aussi avec innovation suisse

La mobilité douce n’est pas seulement une affaire d’urbanisme ; elle est aussi un terrain fertile d’innovation. Plusieurs start-ups suisses s’y sont engouffrées avec brio. On pense à Miloo, une entreprise vaudoise qui conçoit des speed-bikes alliant performance suisse et design élégant. Ou à Loopi, plateforme zurichoise qui aide les entreprises à optimiser les trajets domicile-travail de leurs collaborateurs en valorisant les mobilités actives.

Sans oublier les services publics : CarPostal a débuté des tests de vélos en libre-service dans certaines petites villes du Valais, avec un ticket unique et intégré à l’offre de transports régionaux. L’objectif ? Offrir une solution de premier et dernier kilomètre, pour connecter les gares aux lieux de vie ou de travail.

Et la montagne dans tout ça ?

On pourrait croire que mobilité douce et topographie helvétique ne font pas bon ménage. Pourtant, les vélos électriques ont changé la donne. Dans les régions escarpées – comme les hauteurs de Montreux, les Orts de Berne ou même les villages valaisans – la montée devient moins une corvée qu’un prétexte à pédaler davantage. Résultat : une démocratisation de la pratique dans des régions qui, jusque-là, restaient à l’écart des grands flux cyclables.

La région du Pays-d’Enhaut, par exemple, déploie un réseau de 160 kilomètres d’itinéraires cyclables balisés, reliés à des bornes de recharge et à des hôtels labellisés « bike friendly ». Ces initiatives favorisent un tourisme plus durable tout en bénéficiant aux habitants qui s’en servent au quotidien.

Les freins restent nombreux… mais pas insurmontables

L’essor des mobilités douces n’est pas exempt de défis. Parmi les principales critiques des utilisateurs, trois problèmes persistent :

  • Infrastructures encore incomplètes : des pistes cyclables interrompues subitement ou des intersections dangereuses rebutent de nombreux usagers.
  • Comportements à risques : entre les cyclistes qui zigzaguent et les automobilistes peu respectueux, la cohabitation reste parfois tendue.
  • Solutions pas toujours inclusives : les personnes âgées ou en situation de handicap peuvent se sentir exclues d’un système pensé principalement pour des personnes jeunes et valides.

Néanmoins, la prise de conscience est en marche. À Zurich, la ville a lancé en 2022 une large consultation citoyenne à ce sujet. À Bienne, un programme éducatif en école initie les enfants aux bonnes pratiques du vélo en ville, pour créer les usagers responsables de demain.

Le rôle-clef des entreprises et des institutions

Dans cette mutation, les employeurs ne sont pas en reste. De plus en plus d’entreprises suisses incitent leurs collaborateurs à adopter une mobilité plus durable via :

  • la mise à disposition de vélos de fonction ;
  • des vestiaires et douches dans les bureaux ;
  • des indemnités vélos à la place des habituels abonnements de transport public.

L’administration publique montre également l’exemple. Le canton de Vaud a récemment annoncé que 40 % de sa flotte administrative serait remplacée d’ici à 2025 par des vélos électriques ou des véhicules légers. À Genève, une directive cantonale encourage les agents de l’État à limiter l’usage de la voiture en ville pour les trajets professionnels courts.

Vers une ville repensée autour des usagers

On l’oublie souvent, mais l’enjeu de la mobilité douce dépasse celui du simple transport. Ce qui se dessine, c’est une transformation plus large de nos espaces urbains. Une ville où l’on respire mieux, où l’on se croise davantage dans la rue, où le rythme s’adapte aux pas de chacun.

À Lausanne, l’aménagement du Flon, à Zurich le projet « Superblocks » inspiré de Barcelone, ou encore à Delémont l’intégration fine des cyclistes dans la trame urbaine témoignent de cette volonté de créer des lieux centrés sur les relations humaines et non sur le flux automobile.

Ces projets montrent que la mobilité douce, loin d’être une lubie temporaire, est porteuse d’une nouvelle vision de la ville, plus équitable, résiliente et adaptée aux défis environnementaux à venir.

Un avenir qui se dessine à deux roues (ou sur deux jambes)

La Suisse n’est peut-être pas (encore) Copenhague ou Amsterdam. Mais elle avance à son rythme, et surtout avec une pertinence bien helvétique : guidée par les données, l’expérimentation, le dialogue avec les citoyens et le pragmatisme des politiques locales.

Personne ne s’attend à voir toutes les voitures disparaître du jour au lendemain. Mais qui, il y a dix ans, aurait cru que les centres-villes accueilleront des autoroutes cyclables et des parkings à trottinettes ?

La mobilité douce n’est plus un supplément d’âme, c’est désormais un pilier central de la mobilité urbaine suisse. Un pilier que nous construisons ensemble, au quotidien, au fil de nos trajets. Que vous soyez cycliste convaincu, piéton envieux, ou automobiliste curieux, le mouvement est lancé. Et il roule vite.