Les musées romands qui mêlent culture et technologie

Les musées romands qui mêlent culture et technologie

Quand la culture s’allume en pixels : bienvenue dans les musées connectés de Suisse romande

Longtemps perçus comme des sanctuaires de la mémoire, voués au silence et aux vitrines bien ordonnées, les musées romands sont en train de changer de visage. Portés par l’élan technologique, plusieurs d’entre eux réinventent leur approche pour offrir des expériences immersives, interactives et parfois même ludiques. La culture devient ainsi un terrain d’innovation, où les visiteurs ne se contentent plus de regarder : ils vivent, manipulent, expérimentent.

Mêler culture et technologie n’est plus un pari, c’est une réalité palpable sur le territoire romand. Zoom sur ces institutions qui, au-delà de leurs murs, s’ancrent dans le présent pour mieux raconter le passé – ou le futur.

Un laboratoire vivant à Lausanne : le MCBA et ses parcours digitaux

Niché dans le quartier en pleine mutation de Plateforme 10, le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne (MCBA) s’est fait remarquer ces dernières années pour son intégration maîtrisée des outils numériques. Loin de reléguer la technologie à un simple support de médiation, l’équipe du musée l’a pensée comme un prolongement naturel de la scénographie.

Des audioguides enrichis en réalité augmentée offrent, par exemple, une relecture inédite des œuvres en superposant des contenus numériques à l’image physique. Le visiteur peut ainsi voir, sur son smartphone ou sa tablette, les esquisses préparatoires d’un tableau apparaître par-dessus l’original, ou observer comment certaines œuvres ont évolué dans le temps par des animations visuelles.

Le MCBA propose également des parcours thématiques interactifs, accessibles via une application gratuite. En utilisant des balises Bluetooth disséminées dans les salles, les visiteurs sont guidés selon leurs intérêts et reçoivent des contenus en fonction de leur proximité avec telle ou telle œuvre. Une approche personnalisée, particulièrement appréciée des plus jeunes – et des enseignants.

Une plongée immersive dans le temps à Yverdon-les-Bains

À première vue, le Musée d’Yverdon et région pourrait sembler discret. Mais entre les murs de ce château médiéval se cache une pépite technologique : une salle immersive dédiée à l’histoire de la région.

Grâce à une installation 360 degrés combinant projections murales et effets sonores spatialisés, le visiteur est plongé dans un récit en images où le temps s’écoule sous ses yeux : la formation du lac de Neuchâtel, l’arrivée des premières civilisations, les bouleversements de l’industrialisation et même les événements contemporains. Le tout rythmé par une narration dynamique, adaptée à tous les âges.

L’initiative a vu le jour grâce à une collaboration entre le musée, des historiens locaux et une start-up vaudoise spécialisée dans les technologies immersives. Résultat : une approche sensorielle du patrimoine, qui fait mouche tant auprès des écoles que des visiteurs de passage.

Le MAH de Genève : conservateur… mais connecté

Le Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) reste fidèle à son image institutionnelle, mais ne boude pas pour autant les outils numériques. Bien au contraire. En 2023, le musée a franchi un cap avec la mise en ligne de son portail de collections numériques, regroupant plus de 300 000 objets, accessibles librement. L’objectif ? Démocratiser l’accès à une partie de son énorme fonds, bien trop vaste pour être entièrement exposé.

Au cœur même du musée, plusieurs expositions temporaires font usage de dispositifs interactifs. Dans la dernière exposition consacrée à l’architecture antique, des hologrammes permettaient de visualiser en trois dimensions l’évolution d’un site archéologique selon différentes hypothèses historiques. Un manière intelligente d’intégrer la recherche scientifique au sein même du parcours muséal, tout en éveillant la curiosité du public.

La médiation numérique ne s’arrête pas là : des QR codes discrets, disséminés dans les espaces, permettent d’activer des commentaires audio, vidéos d’experts ou reconstitutions 3D. Le tout est pensé pour s’intégrer sans perturber l’expérience classique du musée. Une façon subtile de conjuguer passé et avenir, sans renier l’autorité tranquille de l’institution.

Martigny : quand l’art s’anime grâce à la réalité virtuelle

Depuis quelques années, la Fondation Gianadda n’en finit plus d’attirer les projecteurs grâce à ses grandes expositions temporaires. Si sa réputation n’est plus à faire, l’institution valaisanne a également su innover en matière de médiation.

À l’occasion de l’exposition « Van Gogh – Le pouvoir des émotions », la Fondation a développé un espace immersif en partenariat avec une entreprise spécialisée en réalité virtuelle. Les visiteurs équipés de casques VR étaient invités à plonger littéralement dans les toiles du peintre néerlandais, naviguant entre les champs de blé et les cieux tourmentés, dans une mise en scène impressionnante qui captait autant les sens que l’imaginaire.

Ce type d’expérience ne visait pas à remplacer la contemplation des œuvres originales – exposées dans les salles traditionnelles – mais à offrir une entrée supplémentaire pour découvrir l’univers passionné et tourmenté de l’artiste. Une passerelle, en somme, entre la matière et la sensation.

Neuchâtel et la science à portée de main : le Latenium

Classé parmi les plus grands musées d’archéologie de Suisse, le Latenium, situé au bord du lac de Neuchâtel, réussit le pari de rendre l’archéologie accessible – et même captivante – grâce aux technologies interactives.

Son exposition permanente, « Archéologie en plein air », se double d’un parcours numérique à l’intérieur des salles : tablettes tactiles, écrans interactifs, simulations de fouilles et jeux pédagogiques invitent petits et grands à s’immerger dans la vie des habitants de la région à l’âge du Fer ou sous l’Empire romain.

Particulièrement intéressante : la table multi-touch où les visiteurs peuvent reconstituer virtuellement des objets fracturés, à la manière des archéologues professionnels. Un geste simple, mais qui plonge immédiatement dans la complexité – et la poésie – du métier.

Fribourg connecte les arts vivants : Equilibre-Nuithonie en mode hybride

Un musée ? Pas exactement. Mais dans le paysage culturel romand, les scènes pluridisciplinaires fribourgeoises que sont Equilibre et Nuithonie méritent qu’on s’y attarde, tant leur usage du numérique repousse les frontières du spectacle traditionnel.

Depuis la pandémie, ces institutions ont mis en place des dispositifs de diffusion hybride : captations en direct, replays, interactions en ligne avec les artistes. Ce qui était initialement une solution de repli est devenu un pilier de la programmation, avec davantage d’inclusion pour les publics éloignés (géographiquement ou physiquement).

Une initiative intrigante lancée ce printemps : un dispositif de réalité augmentée, activé depuis son smartphone dans les halls du théâtre, permet de découvrir les répétitions en coulisses via des capsules vidéos contextualisées. Une immersion dans le processus créatif, là où d’ordinaire le rideau reste fermé.

Et demain ? Vers des musées toujours plus intelligents

La tendance est claire : les musées de Suisse romande investissent peu à peu – mais avec pertinence – les outils numériques. Plus encore, ils les intègrent dans une réflexion globale sur l’accessibilité, la médiation et l’expérience du visiteur.

Ce mouvement devrait s’accélérer à l’avenir avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, des expériences vocales personnalisées ou encore l’usage de la data dans le design des parcours. Des musées adaptatifs, où chaque visite serait différente selon le profil ou les préférences du visiteur. Science-fiction ? Pas vraiment. Plusieurs projets pilotes sont déjà en cours, notamment à Genève et Lausanne.

Mais qu’on se rassure : l’authenticité des œuvres originales, la magie du face-à-face avec l’objet patrimonial et le plaisir du silence dans les salles tamisées demeurent des valeurs sûres. La technologie, ici, ne remplace pas. Elle enrichit. Elle prolonge. Elle raconte autrement.

Et si le XXIe siècle nous apprenait à contempler avec les yeux… et avec les doigts ?