Les jeunes entrepreneurs suisses qui révolutionnent le digital

Les jeunes entrepreneurs suisses qui révolutionnent le digital

Propulsée par des infrastructures fiables, un système éducatif performant et une culture résolument tournée vers l’innovation, la Suisse est un terreau fertile pour les jeunes pousses numériques. Si les géants de la tech dominent souvent les gros titres, une nouvelle génération d’entrepreneurs suisses investit le champ digital avec ingéniosité, agilité et ambition. Zoom sur ces jeunes talents romands et helvétiques qui redéfinissent les usages numériques, parfois depuis un simple coworking à Lausanne, parfois avec une levée de fonds à sept chiffres au compteur.

Une dynamique d’innovation, ancrée dans le local

La Suisse ne manque ni d’idées, ni de talents. Mais ce qui distingue vraiment sa nouvelle génération d’entrepreneurs digitaux, c’est leur capacité à marier identité locale et ambition globale. Plutôt que de vouloir « être le prochain Google », beaucoup visent des solutions concrètes, souvent ancrées dans un besoin spécifique de leur communauté ou secteur d’activité.

C’est le cas d’Élise Rüfenacht, 27 ans, fondatrice de Komplizen, une plateforme de traduction assistée par IA basée à Bienne. Son concept ? Permettre aux indépendants et PME de bénéficier de traductions professionnelles en temps réel, à moindre coût. « Je voulais créer un outil à la fois accessible et respectueux de la richesse linguistique suisse », explique-t-elle. Pari réussi : en moins de deux ans, plus de 1’000 entreprises suisses utilisent déjà ses services.

Des idées simples, des solutions qui captivent

On pourrait croire qu’il faut une idée révolutionnaire pour percer. Or, souvent, l’innovation vient davantage de la manière d’exécuter que du concept lui-même. Prenons l’exemple de SaveMarket, fondé à Fribourg par trois amis de l’université. Leur constat de départ est familier : beaucoup d’aliments invendus encore consommables partent à la poubelle à cause d’une logistique inefficace.

Leur solution ? Une application qui connecte en temps réel petits commerces, boulangeries et supermarchés avec les consommateurs à proximité, pour écouler les invendus du jour à prix réduit. Avec plus de 80 points de vente partenaires en Suisse romande, le bouche-à-oreille fait le reste. En 2023, ce sont plus de 400 tonnes de nourriture qui ont trouvé preneurs au lieu de finir à la décharge. Un succès qui attire désormais l’attention des villes en quête de plans contre le gaspillage alimentaire.

La tech au service de la durabilité

Derrière de nombreux projets digitaux suisses portés par des jeunes, une constante revient : la volonté de mieux faire. Mieux consommer, mieux produire, mieux relier. Les start-up du numérique cultivent une conscience écologique et sociale où l’effet utile prime sur la croissance effrénée.

La startup genevoise Reclaim Energy, cofondée par Léo Wenger (30 ans) et Salomé Nussbaum (28 ans), illustre parfaitement cette tendance. Leur détecteur connecté permet aux copropriétés de visualiser en temps réel la consommation énergétique de leurs bâtiments, pièce par pièce, appareil par appareil. Couplé à une interface ludique et épurée, l’outil aide à réduire en moyenne 25 % des dépenses d’énergie dans les immeubles pilotes. « L’objectif n’est pas seulement d’économiser, mais de comprendre et d’agir », souligne Salomé, diplômée de l’EPFL en génie énergétique.

Entrepreneuriat et formation : l’alliance gagnante

Ce n’est pas un hasard si nombre de ces jeunes entrepreneurs émergent des campus suisses. L’EPFL, l’EPFZ, l’université de Lausanne ou encore l’EHL jouent un rôle croissant dans l’émergence de projets innovants — accélérateurs, hackathons, incubateurs, tout est mis en place pour que les idées prennent vie rapidement.

À Lausanne, Louis Ramelet (23 ans) a lancé Praxy pendant son bachelor en informatique. Il s’agit d’un assistant de productivité basé sur l’IA, spécifiquement conçu pour les étudiants. Synthèse de cours, aide à l’organisation hebdomadaire, préparation d’exposés : l’application a déjà été testée dans plusieurs hautes écoles et séduit par sa simplicité. « Les autres outils venaient de Californie et ne comprenaient pas nos spécificités éducatives. Alors j’en ai créé un taillé pour notre réalité étudiante », raconte-t-il avec pragmatisme.

Le financement, toujours un défi… mais les lignes bougent

L’un des obstacles historiques pour les jeunes pousses suisses réside dans le financement initial. Bonne idée ou pas, sans apport significatif, bon nombre de projets peinent à dépasser le stade de prototype. Pourtant, les choses évoluent. Outre les structures comme Venturelab ou InnoSuisse, plusieurs investisseurs privés suisses se positionnent désormais sur des profils jeunes à fort potentiel.

La startup zurichoise Lancea, qui développe des outils de cybersécurité destinés aux indépendants, a récemment levé 1,3 million CHF auprès d’un pool d’investisseurs intéressés par la cybersécurité simplifiée. Portée par un duo de moins de 30 ans, l’entreprise fait le pari d’une stratégie B2C dans un domaine souvent réservé aux grandes entreprises. Résultat : en six mois, plus de 12’000 freelances utilisent leurs outils, avec une croissance constante.

Une approche des RH refondée, digitale… et humaine

La révolution digitale portée par la jeunesse suisse ne s’arrête pas à la tech de pointe ou aux applications à succès. Elle touche aussi des secteurs traditionnels, parfois peu enclins au changement. Exemple frappant : le domaine du recrutement.

A Genève, PeopleMatch a été cofondée par Inès Bahrami, 26 ans, ex-recruteuse frustrée par le manque de pertinence des outils classiques. Usant de machine learning et d’analyse comportementale, sa plateforme met en relation talents et postes non pas à partir d’un CV mais d’une cartographie fine des soft skills, aspirations et contextes de travail. Moins de délais, plus de compatibilité, et un taux de rétention doublé dans les sociétés clientes. « On ne recrute pas uniquement une compétence, mais une personne », martèle Inès, convaincue que l’ère post-CV commence ici.

Un écosystème digital en pleine structuration

Loin d’être dispersés, ces jeunes entrepreneurs suisses s’intègrent désormais dans un écosystème mieux armé pour les soutenir. Espaces de coworking connectés comme Impact Hub, ateliers thématiques, rencontres de coding à Zurich, Lausanne ou Neuchâtel, les opportunités d’échanges se multiplient.

L’essor des concours de pitchs, des bourses OTT (Open Tech Talent) ou encore des bootcamps comme « Startup Weekend » consolide cette dynamique. Plus que jamais, entreprendre dans le digital à moins de 30 ans en Suisse n’est plus un rêve, c’est une trajectoire possible – voire souhaitée. Certains lycées intègrent désormais des modules d’économie numérique ; signe que la culture startup gagne du terrain dès les bancs scolaires.

Faire rayonner la Suisse à l’ère numérique

Si la Suisse a toujours su innover, elle apprend aujourd’hui à mieux communiquer ses talents numériques. Parmi les jeunes entreprises qui exportent leur savoir-faire à l’étranger, DigiFarm (AG) se distingue : leur outil de monitoring satellite intelligent permet un suivi agricole ultra-précis, jusque dans les vallées les plus reculées des Grisons. Utilisé au Kenya, en Inde ou au Canada, le modèle prouve que l’innovation suisse peut très bien se penser ici, et rayonner là-bas.

Cette nouvelle génération d’entrepreneurs digitaux ne se contente pas d’exister dans le sillage des grands. Elle invente ses propres codes, développe des solutions utiles, durables et localement ancrées tout en gardant un œil sur les marchés mondiaux. Ni messianiques, ni utopistes, ces pionniers sont techniquement affûtés, éthiquement engagés et courageusement concrets. Ils façonnent la Suisse numérique de demain – et cela, à toute vitesse.