Le crédit hypothécaire en Suisse

Le crédit hypothécaire en Suisse

Une mécanique bien huilée… mais souvent méconnue

Parler de crédit hypothécaire en Suisse, c’est un peu comme évoquer le fromage dans un plateau romand : c’est incontournable, mais chacun a sa recette. Pourtant, à entendre certaines discussions de terrasse, on réalise que le fonctionnement de l’hypothèque reste flou pour beaucoup. Comment est réellement structurée une hypothèque ? Quelles en sont les subtilités helvétiques ? Et surtout : faut-il s’en réjouir ou s’en méfier ?

En Suisse, l’accès à la propriété passe dans 9 cas sur 10 par un crédit hypothécaire. Ce système, à la fois robuste et précis, distingue notre pays d’autres modèles européens et mérite d’être mieux compris.

Crédit hypothécaire : de quoi parle-t-on exactement ?

Un crédit hypothécaire est un prêt accordé par une banque ou un établissement financier pour financer l’achat – ou parfois la rénovation – d’un bien immobilier. En échange, la propriété sert de garantie. Si l’emprunteur ne rembourse pas, le prêteur a un droit légal sur le bien. C’est là toute la puissance (et la prudence) du système helvétique.

Mais attention : en Suisse, l’hypothèque n’est pas un remboursement progressif du capital, comme c’est souvent le cas ailleurs. L’idée ici repose sur les notions de premier et deuxième rang, de charge annuelle, et de maintien de la dette. Cela change tout.

Une structure en deux piliers

Le financement hypothécaire suisse repose schématiquement sur deux tranches :

  • La première hypothèque couvre généralement jusqu’à 66 % du prix d’achat. Elle est considérée comme peu risquée pour la banque.
  • La deuxième hypothèque complète souvent jusqu’à 80 %, voire un peu plus selon les cas. Elle est plus risquée et doit être amortie sur 15 ans ou jusqu’à l’âge de la retraite.

Le reste du financement – au moins 20 % – doit venir des fonds propres de l’acheteur. Ces fonds doivent comprendre au minimum 10 % en espèces ou actifs non issus du deuxième pilier (LPP), preuve que le prêteur souhaite voir un engagement financier réel de la part de l’emprunteur.

Un marché régulé… mais en mutation

La Banque nationale suisse (BNS) garde un œil attentif sur le marché hypothécaire. Ces dernières années, elle a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises, craignant une surchauffe dans certaines régions, notamment autour du Léman et à Zurich. Résultat : les banques sont devenues plus strictes.

Les critères d’octroi d’un crédit se sont ainsi durcis :

  • Le revenu net du débiteur doit permettre de supporter une charge hypothécaire théorique (intérêts à 5 %, amortissements, charges d’entretien) ne dépassant pas le tiers de ses revenus.
  • Certains établissements exigent désormais un amortissement plus rapide de la deuxième hypothèque.
  • Un contrôle plus rigoureux des fonds propres est devenu la norme.

« On observe un retour à davantage de prudence, surtout pour les primo-acquéreurs », note Stéphanie Gilliéron, courtière en immobilier active dans le canton de Vaud. « Les conditions peuvent varier d’un établissement à l’autre, ce qui implique de comparer finement les offres. »

Taux fixe, taux variable, ou taux SARON ?

Le choix du taux est une autre décision clé. Longtemps, les hypothèques à taux fixes ont séduit par leur sécurité : un taux connu à l’avance, sur 5, 10 ou 15 ans. Pratique pour stabiliser un budget.

Mais depuis la disparition des hypothèques à taux variable classiques au profit des modèles indexés sur le SARON (Swiss Average Rate Overnight), de nouvelles options ont émergé. Ces crédits, adossés à un taux du marché monétaire suisse, peuvent évoluer tous les trois mois. Moins prévisibles, ils sont souvent moins chers… mais impliquent une certaine tolérance au risque.

« La question à poser est simple : suis-je prêt à voir ma mensualité augmenter si les taux grimpent ? » précise Julien Meyer, conseiller financier à Neuchâtel. « Pour les profils jeunes et flexibles, ça peut avoir du sens. Mais pour une famille avec enfants, le fixe reste rassurant. »

Racheter ou rester locataire : la grande question romande

Avec des prix en constante hausse – +9 % en moyenne sur les maisons individuelles en Suisse romande entre 2019 et 2023 selon l’Office fédéral de la statistique –, l’achat semble parfois hors de portée.

Pourtant, la tendance à vouloir acheter reste forte. À Lausanne, Fribourg ou Genève, les visites se multiplient à chaque mise en vente. L’intérêt pour la propriété individuelle est loin d’avoir faibli, preuve que le rêve immobilier reste vivace, malgré une pression sur les taux (remontés de 0,5 % à 1,75 % en deux ans).

Et si acheter reste un objectif, certains s’interrogent : et si un contrat de bail de longue durée avec indexation maîtrisée était, pour certains profils, plus avantageux ?

À chacun sa stratégie. Mais il est clair qu’une hypothèque n’est pas qu’un outil financier : c’est un engagement de longue durée avec des implications fiscales (déductibilité des intérêts), patrimoniales, et psychologiques.

Calculatrice en main : anticiper intelligemment

Avant toute démarche, l’usage d’un calculateur hypothécaire reste une étape essentielle. UBS, Raiffeisen, PostFinance, ou des plateformes comme Comparis.ch proposent des simulateurs permettant d’avoir un premier éclairage concret. Ces outils permettent de visualiser :

  • Le montant empruntable selon ses revenus et ses fonds propres.
  • Le coût réel de l’emprunt sur la durée envisagée.
  • L’impact potentiel d’une hausse des taux sur les charges annuelles.

Petite astuce d’expert : intégrer aussi l’entretien du bien dans ses calculs prévisionnels, souvent oublié, équivalant pourtant à environ 1 % de la valeur du bien par an.

Le rôle déterminant de la prévoyance

En Suisse, le deuxième pilier (LPP) peut être utilisé pour financer une résidence principale. Soit en tant que retrait partiel (sans remboursement nécessaire), soit en nantissement (mis en garantie, mais non déboursé). Ce levier permet souvent à de jeunes acquéreurs de renforcer leur dossier.

Néanmoins, une utilisation de ces fonds impacte directement la retraite future. C’est pourquoi les caisses de pension freinent parfois des quatre fers, et que les acheteurs se retrouvent, entre 30 et 40 ans, à arbitrer entre achat immobilier et capital vieillesse. À chacun de définir ses priorités.

Des tendances émergentes, entre écologie et coopératives

Dernier point d’intérêt : l’évolution du marché en lien avec des préoccupations plus durables. Les banques favorisent désormais les biens à haute efficacité énergétique via des « hypothèques vertes » (conditions préférentielles pour les logements respectueux des normes Minergie, par exemple).

On observe également en Suisse romande un regain d’intérêt pour les modèles coopératifs, notamment à Genève et Lausanne. Ces structures hybrides permettent d’accéder à la propriété de façon mutualisée, en partageant risques et gestion. Intéressant pour les citadins souhaitant échapper à la spirale spéculative.

Autre facteur à ne pas négliger : l’impact des grands chantiers d’infrastructures ou des plans de zones sur la valeur d’un bien. À titre d’exemple, l’arrivée du tram à Renens ou les revalorisations prévues dans l’est lausannois influencent aujourd’hui directement les décisions d’achat dans ces secteurs.

En résumé : être propriétaire en Suisse, un jeu d’équilibre

Tout dans le crédit hypothécaire suisse pousse à la réflexion stratégique. Ce n’est pas un outil à prendre à la légère, mais il reste solide, fiable, et adapté à la stabilité que recherchent de nombreux Romands.

Mais entre taux, amortissement, fiscalité, prévoyance et durabilité, mieux vaut aborder ce chemin bien accompagné. Se faire conseiller, comparer les offres, évaluer ses capacités de remboursement sur le long terme (et pas seulement sur le coup de cœur d’un salon lumineux) : c’est là que réside le véritable bon sens immobilier helvétique.

Car à défaut de pouvoir prédire les taux futurs ou les frottements fiscaux de demain, une chose reste sûre : en matière d’hypothèque, mieux vaut une démarche éclairée qu’un emprunt à l’aveugle.