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Le boom du chocolat bean-to-bar chez les artisans suisses

Le boom du chocolat bean-to-bar chez les artisans suisses

Le boom du chocolat bean-to-bar chez les artisans suisses

Une révolution silencieuse dans le monde cacaoté

Depuis quelques années, un vent nouveau souffle sur le paysage chocolater suisse. Le modèle industriel, longtemps dominé par de grandes marques, cède doucement la place à une tendance qui séduit autant les palais gourmets que les amateurs de circuits courts : le chocolat bean-to-bar. Ce terme encore méconnu du grand public signifie littéralement « de la fève à la tablette ». Mais derrière cette appellation se cache bien plus qu’une simple méthode de production : c’est une philosophie, une quête de sens, et un retour aux sources qui prend racine partout en Suisse romande.

De la fève à la tablette : qu’est-ce que le bean-to-bar ?

Le bean-to-bar désigne une approche artisanale du chocolat dans laquelle le producteur contrôle l’ensemble du processus, de la sélection des fèves de cacao jusqu’au conditionnement final de la tablette. Contrairement aux fabricants industriels qui achètent souvent leur chocolat déjà transformé, les artisans bean-to-bar choisissent eux-mêmes leurs fèves, qu’ils torréfient, broient, conchent et affinent selon leurs propres recettes, souvent en petites quantités.

C’est un peu l’équivalent d’un vigneron qui cultiverait son propre raisin pour produire ses cuvées, plutôt que d’acheter du vin déjà fait. En matière de goût et de traçabilité, la différence est notable.

Pourquoi ce retour aux sources séduit les Helvètes ?

En Suisse, où le chocolat est presque une affaire d’identité nationale, cette tendance séduit un public croissant. Plusieurs raisons expliquent cet engouement :

Un phénomène qui prend de l’ampleur en Suisse romande

Alors que le concept a émergé il y a une dizaine d’années aux États-Unis (notamment à Brooklyn), il a conquis progressivement l’Europe et trouve désormais une terre d’accueil particulièrement fertile en Suisse romande. Plusieurs ateliers artisanaux s’en revendiquent avec sérieux et passion.

À Lausanne, l’entreprise Orfève – fondée par un couple d’experts en cacao, Caroline Buechler et François-Xavier Mousin – illustre parfaitement cette mutation. Dans leur manufacture du quartier de Sébeillon, chaque barre est le fruit d’un travail méticuleux : les fèves, rigoureusement sélectionnées, sont transformées à la main en petits lots. Un artisanat d’une précision horlogère, qui leur a valu des reconnaissances internationales.

À Genève, Choba Choba ne se contente pas de faire du bean-to-bar. Elle pousse le concept plus loin encore : cofondée par des Suisses, cette entreprise a mis en place un modèle de co-propriété avec les cultivateurs de cacao au Pérou. À travers ce partenariat direct, les paysans sont aussi actionnaires de la marque. Une manière de revaloriser leur rôle, souvent invisibilisé dans l’industrie classique.

Plus au nord, à Bienne, La Flor travaille avec des variétés rares de cacao et produit des tablettes d’une pureté étonnante, sans le recours à la lécithine ni à aucun additif. Là encore, tout est fait dans l’atelier biennois, promouvant un savoir-faire 100% local avec une identité visuelle soignée.

Un marché de niche… au potentiel haut de gamme

Certes, le bean-to-bar reste encore marginal à l’échelle de la consommation de chocolat suisse, qui reste fortement dominée par les grands noms historiques. Mais ce segment connaît une croissance régulière, tirée par une clientèle prête à payer plus pour un produit plus éthique, souvent biologique, et gustativement distinct.

Selon un rapport de Euromonitor, les ventes de chocolat premium en Suisse ont augmenté de plus de 12% entre 2019 et 2023. Et bien que ces nouvelles marques n’aient pas encore les volumes des géants du secteur, elles s’imposent déjà dans les sélections spécialisées, les boutiques bio, les grands hôtels et les épiceries fines.

Pour Grégory Gavillet, consultant en marketing alimentaire basé à Fribourg, « le bean-to-bar répond aux mêmes codes que ceux qui ont fait le succès du vin nature ou du café de spécialité : on valorise l’origine, la main de l’homme, et l’histoire derrière chaque produit. »

Des défis à la hauteur de la passion

Mais la route n’est pas sans embûches. Produire son chocolat de A à Z demande un investissement important en équipement (torréfacteurs, conches, moulins), un savoir-faire pointu, et une logistique soignée – notamment pour l’importation et la conservation des fèves crues.

La rentabilité est un autre enjeu. La production artisanale ne bénéficie pas d’économies d’échelle, et les marges restent souvent minces, surtout en période d’inflation des matières premières. Pourtant, les artisans suisses tiennent bon, portés par la conviction que leur travail redéfinit les standards de qualité.

Jean-Marc Hohl, fondateur de Max Chocolatier à Lucerne, résume ainsi leur motivation : « Nous ne voulons pas simplement fabriquer du chocolat ; nous voulons raconter une histoire, faire vivre une émotion, transmettre la passion du cacao dans sa vérité brute. »

Et du côté des consommateurs romands ?

La demande locale est bien là. En Suisse romande, plusieurs épiceries fines mettent désormais en avant des chocolats bean-to-bar. À Neuchâtel, « Le Goût de la Terre » consacre tout un rayon à ces tablettes d’exception, commentées comme des crus. À Lausanne, « Les Enfants Terribles » propose même des ateliers de dégustation pour apprendre à identifier les arômes selon les origines : Madagascar, Équateur, République dominicaine…

Et les consommateurs ne s’y trompent pas : ils deviennent curieux, posent des questions, et découvrent que le chocolat peut avoir des tonalités fruitées, florales, épicées, loin des profils sucrés uniformes du chocolat de supermarché.

Un mouvement qui s’installe durablement

Plus qu’une mode passagère, le bean-to-bar s’installe dans le paysage gourmand suisse comme un contre-modèle, à la fois éthique, transparent et gustatif. Il ravive le lien entre le producteur et le consommateur, entre la fève exotique et le terroir helvétique. Un paradoxe apparent qui, pourtant, fonctionne à merveille.

Et si demain, acheter une tablette de chocolat devenait un acte aussi réfléchi que choisir un bon vin ou un fromage d’alpage ? En Suisse romande, de plus en plus de consommateurs répondent : oui, absolument.

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