Interview d’un horloger qui perpétue un savoir-faire ancestral

Interview d’un horloger qui perpétue un savoir-faire ancestral

Un métier millimétré : rencontre avec un horloger d’exception à La Chaux-de-Fonds

Dans les montagnes neuchâteloises, là où les hivers sont longs mais les gestes éternels, certaines traditions suisses s’inscrivent dans le temps avec une précision remarquable. C’est à La Chaux-de-Fonds, capitale horlogère historique, que nous avons rencontré Claude Moser, un artisan horloger qui perpétue un savoir-faire transmis depuis quatre générations. Dans son petit atelier aux senteurs d’huile fine et de métal poli, il travaille des montres mécaniques comme d’autres cultivent un jardin à la main : avec patience, rigueur et passion.

Une tradition familiale au cœur du Jura neuchâtelois

Claude Moser n’a jamais vraiment envisagé une autre voie. « J’ai grandi au-dessus de l’atelier de mon père, et avant lui, de mon grand-père. Très tôt, les tic-tac m’ont bercé. À six ans, je démontais déjà des montres pour comprendre comment elles vivent », raconte-t-il avec un sourire tranquille. L’atelier Moser, situé en vieille ville, a vu défiler des décennies de calibres – ces petits moteurs mécaniques aux noms poétiques : Valjoux 72, ETA 7750 ou Unitas 6498.

Alors que l’industrie horlogère suisse est globalement dominée par les grandes maisons, souvent intégrées à des groupes internationaux, Claude Moser incarne une autre philosophie : celle de l’indépendance artisanale. « Chez nous, chaque pièce est unique. J’assemble, je calibre, je règle tout à la main, sans assistance numérique. Ce n’est pas rentable à grande échelle, mais ça a un sens. »

Un métier d’horloger, entre science et poésie

Travailler sur des garde-temps mécaniques, c’est naviguer en permanence entre précision extrême et intuition. « Un bon horloger, c’est un peu comme un luthier : il sent ce qu’il fait. Une montre peut sembler correcte sur le papier, mais ne « sonner » juste qu’après un réglage au feeling », explique Claude, en désignant un échappement en train de battre à 28’800 alternances par heure sous la loupe.

Dans l’atelier, le silence n’est troublé que par le bruissement fragile des instruments. On y trouve une cinquantaine d’outils spécifiques, certains centenaires, d’autres improvisés. Claude insiste : « Tout n’est pas dans les grandes machines. Il faut de la main, de l’oreille, de la mémoire. On se souvient combien de tours une vis peut tolérer, on anticipe comment le métal réagit selon la saison. »

La relève est-elle assurée ?

Si la Suisse forme encore des horlogers dans ses écoles spécialisées – notamment à Genève, Bienne ou Neuchâtel –, la filière artisanale peine à séduire les jeunes. Le travail demande un engagement qui dépasse le simple métier : c’est presque une vocation. « C’est un peu comme être cuisinier dans un grand restaurant : il faut être matinal, perfectionniste, et pas trop attaché aux horaires fixes », plaisante Claude. Son propre fils, ingénieur en microtechnique, le rejoint parfois pour des travaux complexes, mais n’a pas (encore) pris la relève intégrale.

Pourtant, l’intérêt du public pour l’horlogerie « à l’ancienne » ne faiblit pas. Au contraire. Dans un monde saturé d’objets connectés et de montres électroniques jetables, la montre mécanique artisanale revient au goût du jour. Plus qu’un accessoire, elle est devenue un manifeste : celui d’un retour au temps long, à l’objet que l’on conserve et transmet.

Des commandes venues du monde entier

Avec son carnet de commandes plein jusqu’en 2025, Claude Moser n’a rien d’un artisan marginal. Japon, Allemagne, États-Unis : la réputation de son travail dépasse largement le Jura neuchâtelois. Ses créations, souvent personnalisées, exigent entre 100 et 250 heures de travail. « Les gens veulent aujourd’hui des pièces qui racontent une histoire. Je grave parfois des constellations familiales, intègre un mécanisme salvé d’une montre de grand-père, ou conçois un mouvement sur mesure », confie-t-il.

Mais ne lui parlez pas d’expansion. « Je n’ai pas particulièrement envie d’agrandir l’atelier. Ce que je fais n’est pas une industrie. J’ai une relation quasi intime avec chaque montre. C’est peut-être ringard, mais j’aime quand les choses gardent leur échelle humaine. »

Entre conservation du patrimoine et innovation silencieuse

Loin d’être figé dans la nostalgie, Claude participe à sa manière à une certaine forme d’innovation. Il travaille parfois en collaboration avec des micro-marques suisses qui cherchent à réinterpréter les codes traditionnels de l’horlogerie. « Ce que je trouve intéressant, c’est quand on respecte la technique tout en osant une esthétique nouvelle. Une montre ronde avec un quantième semi-digital, pourquoi pas ? Tant que le cœur reste mécanique. »

Il s’engage également dans la restauration de pièces anciennes pour des musées cantonaux, aidant ainsi à préserver un patrimoine technique souvent méconnu. Dans ses tiroirs sommeillent des coqs gravés, des balanciers en or blanchi et des aiguilles dauphine d’un autre temps.

Ce que l’horlogerie artisanale dit de la Suisse d’aujourd’hui

La démarche de Claude Moser, artisan discret dans une ville classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, en dit long sur une part de l’identité suisse actuelle. Dans une époque où tout s’accélère, où l’innovation est souvent synonyme de numérique, de cloud et d’intelligence artificielle, lui incarne une autre innovation : celle de la persévérance, de la maîtrise lente, de la transmission concrète.

« J’ai parfois l’impression d’être un dinosaure. Mais quand je vois un jeune de 25 ans venir me confier une montre héritée de son grand-père et me dire : « Je veux la faire marcher comme avant », je me dis que tout n’est pas perdu. » Et si, au fond, le luxe aujourd’hui, c’était ça : prendre le temps, au propre comme au figuré ?

Petite boussole pour les passionnés

Si l’envie vous prend de découvrir l’univers de l’horlogerie traditionnelle en Suisse romande, voici quelques ressources et lieux à ne pas manquer :

  • Musée international d’horlogerie (MIH), La Chaux-de-Fonds : une collection exceptionnelle retraçant l’histoire horlogère mondiale, avec un focus bien sûr sur la production locale.
  • Temps de Rêves, Neuchâtel : boutique et atelier gérés par une coopérative d’horlogers indépendants, qui proposent des modèles artisanaux à prix raisonnable.
  • Initiation à l’horlogerie : plusieurs maisons telles que CIMIER (Bienne) ou Initium (Le Noirmont) proposent des ateliers pour assembler sa propre montre sur une journée.
  • Plateformes romandes spécialisées : WatchAdvisor.ch, SwissTime.ch ou LaCotedesMontres.ch sont d’excellents points d’entrée pour suivre l’actualité horlogère suisse, artisanale comme industrielle.

Et si vous passez par La Chaux-de-Fonds, cherchez la porte discrète au n°17 de la rue du Temple. L’atelier n’a pas d’enseigne, mais il égrène, jour après jour, les secondes d’une tradition vivante. Une montre, ici, ce n’est pas un objet. C’est une mémoire en mouvement.