Le Valais au-delà des vignes et des stations de ski
Le Valais reste l’une des régions les plus emblématiques de Suisse, cristallisant à elle seule l’imaginaire collectif helvétique : sommets enneigés, vignobles en terrasses et nature spectaculaire. Pourtant, derrière cette carte postale se cache un tissu culturel dense, façonné par une histoire millénaire, des réalités géographiques exigeantes, et un sens aigu de la transmission. Si le carnaval de Sion, la raclette au feu de bois ou l’alpage d’Eringer figurent parmi les images connues, d’autres traditions, plus discrètes, survivent dans les vallées et villages, portées par ceux qui refusent de voir leur patrimoine tomber dans l’oubli.
Dans cet article, nous partons à la découverte de ces coutumes valaisannes souvent ignorées, mais riches de sens et de poésie. Car apprendre à reconnaître ces traditions, c’est aussi mieux comprendre ce canton au tempérament affirmé, entre fierté alpine et hospitalité terrienne.
Les « Pots de Noël » à Visperterminen : quand l’hiver commence en chansons
À Visperterminen, commune de montagne haut perchée dans le Haut-Valais, la période de l’Avent ne se réduit pas à quelques marchés illuminés. Chaque décembre, les habitants organisent les « Chläuspot » ou « Pots de Noël », des veillées communautaires où se mêlent chants, verres de vin chaud et recettes ancestrales. C’est surtout un prétexte pour entretenir les liens entre voisins, dans une ambiance que seuls les hivers rigoureux savent installer.
Dominique Amstutz, habitant du village depuis toujours, nous raconte : « On se réunit dans une étable rénovée, un garage ou parfois une vieille écurie aménagée pour l’occasion. Chacun apporte quelque chose à manger ou à boire, et on chante des chansons que même nos grands-parents connaissent encore par cœur ».
Au-delà de l’aspect convivial, ces rencontres permettent de perpétuer des chants en dialecte haut-valaisan, souvent absents des recueils officiels, et de transmettre oralement des histoires et anecdotes locales qui n’existent nulle part ailleurs.
Les marcheurs du Bon Dieu à Évolène
Dans la vallée d’Hérens, à Évolène, une autre tradition étonnante refait surface chaque année : celle des « marcheurs du Bon Dieu ». Le 1er janvier, des habitants prennent la route avant l’aube, vêtus de noir, porteurs de croix en bois, pour bénir les villages alentour. À leur passage, on récite des prières et l’on asperge les maisons d’eau bénite.
Longtemps marginalisée, cette coutume a récemment connu un regain d’intérêt, notamment grâce aux jeunes générations. Pour Josephine Murisier, présidente de la société de développement local, « on a compris que ce n’était pas juste une marche religieuse austère, mais un moment de solidarité rurale, ancré dans un cycle saisonnier qui veut que le renouveau commence par la marche ».
Une approche où le spirituel se mêle subtilement au rituel collectif, dans une vallée encore très attachée à ses identités ligérienne et alpine.
Les « Peluches » du Lötschental : figures de l’hiver sauvage
Impossible d’évoquer les traditions valaisannes méconnues sans mentionner les « Peluches » du Lötschental. Ces personnages rituels, vêtus de peaux d’animaux, masqués jusqu’à effrayer les enfants les plus braves, apparaissent à la période du carnaval. Mais à l’inverse des cortèges festifs bien ordonnés d’autres communes, ici, le chaos est roi.
La tradition, dont les origines remontent au moins au Moyen Âge, aurait pour fonction de chasser les esprits de l’hiver. Aujourd’hui encore, les Peluches poursuivent les passants à travers les ruelles, lançant de la neige, des cendres, ou même agitant des chaînes pour impressionner.
Le Musée du Lötschental à Kippel conserve une impressionnante collection de ces masques en bois sculptés à la main. Chaque famille du village en possède au moins un, soigneusement gardé, souvent transmis de génération en génération. Une preuve tangible du lien intergénérationnel et de la volonté farouche de garder vivante une tradition étrange mais fondamentalement identitaire.
Les « Brisayes » de Fully : un dialecte en voie de disparition… et de renaissance
Au cœur du Bas-Valais, Fully lutte pour protéger une autre facette de son patrimoine intangible : le « fullyéran », une variante locale du patois valaisan. Si cette langue, issue du franco-provençal, semblait déjà condamnée à une disparition lente, elle connaît aujourd’hui une légère renaissance. En cause ? Une poignée de passionnés qui ont décidé de la faire revivre à travers des « Brisayes », veillées de contes et de chants organisées dans les caves à vin du village.
Lors de ces veillées, on partage une assiette de viande séchée, une lampée de Petite Arvine, et surtout des histoires racontées à haute voix dans un dialecte chantant qu’on ne trouve ni sur Google Translate ni dans les manuels scolaires. Une expérience immersive et touchante, qui donne à la langue locale une épaisseur affective rare.
Les batailles de Reines : bien plus qu’un sport rural
Si les combats de vaches de la race d’Hérens attirent désormais les visiteurs curieux et les amoureux des traditions « rugueuses », peu de gens en connaissent les codes internes, encore strictement respectés. Chaque combat oppose des vaches naturellement dominantes qui s’affrontent corne contre corne pour établir leur place hiérarchique. Pas de sang, pas de mise à mort, mais un spectacle fascinant d’intensité et de respect des bêtes.
Alain Gillioz, éleveur à Martigny-Combe, résume l’esprit de cette étrange arène rurale : « Ce n’est pas un spectacle. C’est un engagement. Ces vaches, c’est notre fierté, notre héritage. Si une bête refuse de se battre, on la retire. On n’impose rien ».
Les batailles sont aussi un lieu d’apprentissage social où les jeunes générations côtoient leurs aînés, découvrant les subtilités de l’élevage, les fêtes villageoises et le sens du mot « communauté » dans sa plus belle définition.
Carnaval des enfants masqués à Rarogne, magie en miniature
Chaque février, le village de Rarogne se transforme en théâtre pour les plus petits : le « Kinder Maskenball » ou bal masqué des enfants permet à des dizaines de fillettes et garçons de jouer les monstres, fées, sorciers ou gnomes à l’ombre des anciennes forteresses. Ce carnaval, à échelle réduite, n’a rien d’un substitut. C’est un rite à part entière, avec ses chants spécifiques, ses appels au printemps et sa symbolique.
Ce qui le différencie ? L’usage de masques artisanaux fabriqués par les enfants eux-mêmes, souvent aidés par les grands-parents. Une manière douce de transmettre un savoir-faire tout en créant du lien au sein des familles.
Entre racines profondes et résilience culturelle
Le Valais, par sa géographie morcelée, a développé une multitude de micro-traditions, souvent cantonnées à une vallée, voire un village. Cette diversité est à la fois une richesse et un défi. Car nombre de ces rites, chants ou dialectes sont menacés par la mondialisation culturelle, l’uniformisation des loisirs ou le vieillissement de la population rurale.
Bonne nouvelle : les initiatives communautaires se multiplient. Comités locaux, associations d’habitants, musées de village ou classes d’école reprennent la main, avec une conviction partagée : seules les traditions vécues restent vivantes. Et ce sont souvent les plus discrètes, les plus locales, qui racontent le mieux l’identité valaisanne.
Des pistes pour les curieux
Envie de découvrir ces traditions de l’intérieur ? Voici quelques suggestions d’événements ou lieux authentiques à visiter :
- Le Musée du Lötschental à Kippel, pour plonger dans le monde mystérieux des masques de carnaval
- Les Brisayes à Fully, généralement en janvier et février – pensez à réserver (et à vous équiper contre le froid des caves)
- Une veillée de Noël à Visperterminen – discrètes, elles se transmettent souvent par bouche-à-oreille
- Une bataille de Reines à Aproz ou Chippis, entre avril et mai, pour une immersion dans la ferveur rurale
- Le Musée d’Hérémence, riche en témoignages oraux et objets du quotidien alpestre
Si le Valais vous semblait familier, attendez d’explorer ses traditions cachées. À l’écart des circuits balisés, elles racontent une autre histoire : celle d’un peuple de montagne, fier et humble à la fois, qui a appris à concilier modernité et mémoire vivante. Et si vous êtes silencieux, curieux et respectueux, vous y serez toujours bien accueilli.
 
			 
			 
			